Depuis son arrivée au pouvoir en septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a engagé le Burkina Faso dans une refondation politique et économique audacieuse. Deux ans et trois mois après sa prise de fonction, son bilan interpelle : industrialisation accélérée, autonomie financière, modernisation des infrastructures, et rupture radicale avec les anciennes puissances occidentales. Cette trajectoire, qui suscite autant d’admiration que d’interrogations, redéfinit le destin du Burkina Faso dans une Afrique en quête d’indépendance.
Une souveraineté financière assumée : le pari du refus des aides occidentales
L’un des tournants majeurs de la présidence Traoré est la rupture avec les institutions financières internationales. En rejetant les prêts du FMI et de la Banque mondiale, il affirme que « l’Afrique n’a pas besoin du FMI, de la Banque mondiale, de l’Europe ou de l’Amérique ». Cette déclaration marque une volonté de refondation économique fondée sur les ressources nationales plutôt que sur l’endettement extérieur.
La conséquence immédiate de cette politique a été le remboursement total de la dette locale, une première dans l’histoire récente du Burkina Faso. Ce désendettement, couplé à une augmentation du PIB de 18,8 milliards à 22,1 milliards de dollars en deux ans, traduit une résilience économique impressionnante. Cependant, la question demeure : cette indépendance financière est-elle viable à long terme sans investissements étrangers massifs ?
L’industrialisation : vers une transformation de l’économie burkinabè ?
Dans une logique de valorisation des ressources locales, le gouvernement de Traoré a lancé plusieurs chantiers industriels. Deux usines de transformation de tomates ont vu le jour, réduisant la dépendance aux importations et renforçant la production locale. L’inauguration d’une mine d’or ultramoderne en 2023 et l’interdiction de l’exportation d’or brut vers l’Europe marquent une volonté d’accroître la chaîne de valeur nationale.
Le secteur du coton, pilier historique de l’économie burkinabè, bénéficie d’un nouvel élan avec la construction d’une seconde usine de transformation et la mise en place d’un Centre national de soutien au traitement artisanal du coton. Ces initiatives visent à faire du Burkina Faso un acteur clé du textile africain.
Ces progrès sont accompagnés d’un programme ambitieux de mécanisation agricole, avec la distribution massive de tracteurs, motoculteurs et semences améliorées. Résultat :
- Production de tomates : 315 000 tonnes en 2022 → 360 000 tonnes en 2024
- Production de mil : 907 000 tonnes en 2022 → 1,1 million de tonnes en 2024
- Production de riz : 280 000 tonnes en 2022 → 326 000 tonnes en 2024
Bien que ces chiffres soient encourageants, des défis persistent. L’industrialisation nécessite un capital humain qualifié, des infrastructures adaptées et un climat économique attractif pour les investisseurs nationaux et étrangers.
Un Burkina Faso en chantier : infrastructures et modernisation
Les grands travaux engagés sous Traoré marquent une volonté de modernisation du pays. La construction de nouvelles routes et la rénovation des axes existants visent à désenclaver les régions rurales et à faciliter le commerce.
Un projet emblématique est le nouvel aéroport international Ouagadougou-Donsin, dont l’ouverture est prévue en 2025. Conçu pour accueillir 1 million de passagers par an, il symbolise l’ambition du Burkina Faso de devenir un hub régional. Toutefois, la gestion et l’exploitation de cet aéroport soulèvent des questions : sera-t-il rentable sans un afflux d’investissements et de touristes ?
Un nationalisme politique et culturel affirmé
L’un des aspects les plus controversés du mandat de Traoré est sa politique de rupture avec l’Occident. Après l’expulsion des troupes françaises et l’interdiction des opérations militaires françaises sur son sol, il a renforcé les relations avec des partenaires alternatifs, notamment la Russie et certains pays africains.
Sur le plan médiatique, la suspension des médias français tels que RFI et France 24 illustre une volonté de contrôler le narratif national. Ce choix, s’il permet de limiter les influences extérieures, pose aussi la question de la liberté d’information et du pluralisme médiatique.
Dans le domaine judiciaire, une réforme culturelle audacieuse a été menée : l’interdiction des perruques et robes juridiques britanniques au profit de tenues traditionnelles burkinabè. Ce geste symbolique, bien que salué par certains, interroge sur son impact réel sur le fonctionnement de la justice.
Un modèle durable ou un pari risqué ?
Le Burkina Faso sous Ibrahim Traoré se distingue par son ambition de souveraineté et son pragmatisme économique. Le pays affiche des avancées notables, notamment en matière d’industrialisation et d’autosuffisance agricole. Cependant, plusieurs défis subsistent :
- La dépendance économique aux ressources minières, dont la gestion et la transparence restent des enjeux majeurs.
- L’isolement diplomatique potentiel, qui pourrait freiner certains investissements stratégiques.
- La capacité à maintenir la croissance sans les financements internationaux traditionnels.
Ibrahim Traoré s’affirme comme un leader nationaliste et réformateur, imposant un nouveau modèle de gouvernance en Afrique de l’Ouest. Reste à voir si cette vision pourra s’inscrire dans la durée et si le Burkina Faso réussira à allier souveraineté et prospérité dans un monde globalisé.
Times Infos
Par Sangaré Mandy.