Le Gabon s’apprête à organiser une élection présidentielle sous haute tension le 12 avril 2025. Mais à un mois du scrutin, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une organisation biaisée, précipitée et juridiquement contestable. Lors d’une conférence de presse tenue le 1er mars 2025 à Libreville, trois figures politiques de premier plan – Alain Claude Bilie By Nze, ancien Premier ministre d’Ali Bongo, Pierre Claver Maganga Moussavou, ancien Vice-président de la République, et Ali Akbar Onanga Y’Obégué, ancien Ministre – ont tiré la sonnette d’alarme. Selon eux, le processus électoral en cours est entaché d’irrégularités majeures qui rendent impossible la tenue d’un scrutin crédible.
Un cadre juridique fragilisé par l’abrogation du Code électoral
L’un des arguments centraux avancés par les opposants au processus électoral actuel repose sur la légalité même du fichier électoral. Le 22 janvier 2025, une nouvelle loi électorale a été adoptée, rendant caduc l’ancien Code électoral et exigeant la mise en place d’un fichier biométrique national. Or, le gouvernement de transition dirigé par le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) persiste à utiliser un fichier électoral issu de l’ancien cadre législatif.
Cette contradiction juridique est lourde de conséquences. Selon le principe d’application immédiate des lois nouvelles, toute élection organisée avec une liste électorale établie sous une loi abrogée serait automatiquement frappée de nullité. Pourtant, le gouvernement semble faire fi de cette exigence, préférant avancer vers un scrutin bâti sur des bases légales incertaines. Cette situation ouvre la voie à de potentiels recours judiciaires post-électoraux qui pourraient plonger le pays dans une nouvelle crise institutionnelle.
Un processus électoral verrouillé au profit du CTRI ?
Au-delà des considérations juridiques, les critiques portent également sur l’organisation même du scrutin, jugée déséquilibrée et biaisée en faveur des militaires au pouvoir. Selon Bilie By Nze et ses alliés, le CTRI a avancé la date du scrutin de manière arbitraire, empêchant ainsi une préparation adéquate de la part des candidats potentiels. Par ailleurs, l’Autorité de Contrôle des Élections et du Référendum (ACER), censée garantir la neutralité du processus, est largement dominée par des proches du pouvoir militaire, ce qui jette un sérieux doute sur son impartialité.
Un autre point de discorde majeur réside dans les conditions d’éligibilité des candidats. Les nouvelles règles imposées par le CTRI ont conduit à l’exclusion de plusieurs figures politiques, réduisant considérablement la diversité des options offertes aux électeurs. Pour l’opposition, il s’agit d’une manœuvre délibérée visant à ouvrir un boulevard au candidat du CTRI, dont le nom reste encore inconnu officiellement mais qui pourrait bien être le Général Brice Oligui Nguema, actuel homme fort du régime.
Un fichier électoral truffé d’irrégularités
Sur le plan technique, le fichier électoral actuel est également sujet à de vives critiques. Les opposants dénoncent la persistance d’anomalies flagrantes qui compromettent la fiabilité du scrutin :
- Présence d’électeurs décédés : Plusieurs noms de personnes décédées figureraient encore sur les listes, laissant craindre des votes multiples frauduleux.
- Inscriptions multiples : Des citoyens seraient enregistrés plusieurs fois, créant un risque de manipulation des résultats.
- Inégalités géographiques : Certaines zones du pays bénéficieraient d’un nombre d’électeurs gonflé par rapport à d’autres, faussant ainsi la représentativité du scrutin.
- Absence de contrôle biométrique : Contrairement aux exigences du nouveau Code électoral, aucun dispositif biométrique fiable n’a été mis en place pour garantir l’unicité et la transparence des votes.
Face à ces irrégularités, les contestataires considèrent que l’élection présidentielle ne peut pas se tenir dans ces conditions sans trahir le principe fondamental d’un suffrage universel transparent et équitable.
Vers une saisine de la Cour Constitutionnelle et un report du scrutin ?
Pour faire valoir leurs revendications, Bilie By Nze, Maganga Moussavou et Onanga Y’Obégué ont annoncé leur intention de saisir officiellement la Cour Constitutionnelle dès le 3 mars 2025. Leur requête s’appuie sur trois points majeurs :
- L’illégalité du fichier électoral actuel, qui ne respecte pas le nouveau Code électoral de 2025.
- L’irrégularité des arrêtés ministériels n°000512/MIS et n°000513/MIS, qui prolongent une révision électorale sous un cadre législatif obsolète.
- La violation des principes fondamentaux du suffrage universel, liée à un calendrier déséquilibré qui favorise certains électeurs au détriment d’autres.
Ils demandent ainsi à la Cour de déclarer nul et non avenu le fichier électoral actuel et d’ordonner l’établissement d’une nouvelle liste conforme aux exigences légales. En conséquence, ils exigent également le report de l’élection présidentielle afin d’éviter une crise électorale majeure.
Un appel au peuple gabonais et à la communauté internationale
Dans leur déclaration, les opposants ne se sont pas contentés d’interpeller la Cour Constitutionnelle. Ils ont également lancé un appel solennel au peuple gabonais, aux institutions nationales et aux organisations internationales. Selon eux, le Gabon risque une nouvelle fois de sombrer dans une crise politique fabriquée de toutes pièces par ceux qui veulent se maintenir au pouvoir à tout prix.
« L’avenir démocratique du Gabon est en jeu. Refusons cette parodie électorale et exigeons des élections justes, transparentes et réellement démocratiques ! » ont-ils martelé.
Le CTRI restera-t-il sourd à ces revendications ? La Cour Constitutionnelle osera-t-elle s’opposer à un processus électoral vicié ? À quelques semaines du scrutin, l’incertitude demeure et le spectre d’une contestation post-électorale plane déjà sur le Gabon.
Times infos
Par Nancy Nguema.