Depuis le coup d’État du 5 septembre 2021 qui a renversé Alpha Condé, le colonel Mamadi Doumbouya s’était engagé à une transition démocratique rapide. Trois ans plus tard, la junte militaire au pouvoir semble avoir un tout autre agenda. Entre répression accrue de l’opposition, manipulation des institutions et absence de calendrier électoral clair, la transition initialement annoncée comme une parenthèse nécessaire s’apparente aujourd’hui à une confiscation du pouvoir.
Une opposition sous pression : entre intimidation et cooptation
Le régime de Mamadi Doumbouya a déployé une stratégie méthodique pour museler toute contestation. D’abord, par la répression systématique des mouvements d’opposition et de la société civile. Des figures emblématiques comme Foniké Menguè et Billo Bah ont été enlevées, tandis que plusieurs leaders politiques font face à des menaces, des arrestations arbitraires ou des restrictions de leurs activités. En octobre 2024, la junte a franchi une nouvelle étape en lançant une vaste révision des partis politiques : 53 formations dissoutes, une cinquantaine suspendue, et 67 mises sous observation. Derrière des motifs officiels évoquant le respect des règles administratives, c’est en réalité une volonté d’éliminer les adversaires politiques.
Ensuite, le pouvoir cherche à diviser l’opposition en offrant des postes à certains leaders influents. Cette stratégie de débauchage a conduit certains opposants à rejoindre les rangs du gouvernement, affaiblissant ainsi les forces contestataires et créant un climat de méfiance au sein même de l’opposition. L’objectif est limpide : vider la scène politique de toute alternative crédible et contrôler le processus de transition.
Un processus électoral piégé et sans échéance claire
La transition devait initialement durer 39 mois, à partir de mai 2022. Puis, sous la pression de la CEDEAO, le gouvernement de Doumbouya a promis de réduire cette durée à 24 mois à partir de janvier 2023, ce qui aurait conduit à des élections en janvier 2025. Or, à moins d’un an de cette échéance supposée, aucun signal concret ne laisse présager une réelle volonté d’organiser un scrutin transparent. Aucune date officielle n’a été fixée, et les organes de gestion électorale restent sous la coupe du pouvoir militaire.
Pire encore, les mesures d’exclusion prises contre les partis politiques compromettent la crédibilité d’éventuelles élections. Comment organiser un scrutin démocratique alors que la majorité des partis d’opposition sont dissouts ou paralysés ? Cette situation renforce les craintes d’un scrutin taillé sur mesure pour légitimer un pouvoir déjà confisqué.
Une grogne populaire qui monte malgré la répression
Face à cette dérive autoritaire, les forces vives de Guinée multiplient les appels à la mobilisation. En novembre 2024, une coalition d’opposants et d’acteurs de la société civile a exigé la fin de la junte d’ici le 1ᵉʳ janvier 2025. Des manifestations sont prévues à Conakry à partir du 6 janvier pour réclamer un retour à l’ordre constitutionnel. Malgré les risques de répression, la population semble de plus en plus déterminée à ne pas laisser le régime militaire s’installer durablement.
La communauté internationale, quant à elle, reste prudente. Si la CEDEAO et certains partenaires occidentaux ont appelé à une transition rapide, aucune sanction forte n’a été imposée contre Mamadi Doumbouya. Cette impunité relative permet au régime de poursuivre son agenda sans réelle pression extérieure.
Vers une dictature militaire assumée ?
En trois ans, la Guinée est passée d’une transition censée restaurer la démocratie à un régime militaire de plus en plus répressif. La stratégie de Doumbouya est claire : affaiblir l’opposition, retarder les élections et consolider son pouvoir. À ce rythme, la transition pourrait s’éterniser, et la Guinée basculer durablement dans un système autoritaire où l’armée dicte sa loi.
Le peuple guinéen, qui a déjà combattu de nombreuses dictatures, se laissera-t-il confisquer une nouvelle fois son avenir ? La réponse dépendra de la capacité de l’opposition à surmonter les divisions, de la mobilisation citoyenne et d’une pression internationale plus ferme. À défaut, la Guinée risque de replonger dans un cycle d’instabilité et d’oppression dont elle peine à se relever depuis des décennies.
Times Infos
Par Mohamed Amine.