Guinée : la grâce controversée de Dadis Camara, un pari politique risqué de Mamadi Doumbouya

Conakry – Le 28 mars dernier, la scène politique guinéenne a été secouée par une décision inattendue du président de la transition, le colonel Mamadi Doumbouya. En graciant Moussa Dadis Camara, principal accusé dans l’affaire du massacre du 28-Septembre 2009, le chef de l’État a relancé un débat brûlant mêlant justice, mémoire collective et stratégie électorale. Si le geste est officiellement présenté comme un acte de clémence, il soulève une vague d’indignation au sein de l’opinion publique et de nombreuses zones d’ombre quant aux réelles motivations du pouvoir.

Un geste politique sous couvert de réconciliation

Pour justifier cette décision, les autorités guinéennes ont invoqué la volonté de « promouvoir la réconciliation nationale ». Toutefois, les observateurs avertis y voient une manœuvre politique en vue des prochaines élections. Moussa Dadis Camara, ancien chef de la junte militaire et figure toujours populaire dans certaines régions, notamment en Guinée forestière, demeure un acteur symbolique pour une frange de la population. En le libérant, Mamadi Doumbouya pourrait chercher à s’assurer un soutien électoral stratégique, en tissant des alliances avec des figures clés du passé.

Un coup dur pour les victimes et la justice

Cette libération est vécue comme une gifle par les familles des victimes du massacre du stade du 28-Septembre 2009, où plus de 150 personnes avaient été tuées et des centaines d’autres blessées ou violées lors d’une manifestation pacifique. Après des années d’attente, l’ouverture du procès en 2022 avait ravivé l’espoir de justice. La grâce présidentielle accordée à Dadis Camara, même si elle ne signifie pas un abandon des poursuites, vient perturber le processus judiciaire. Elle pose surtout une question fondamentale : la justice peut-elle être sacrifiée sur l’autel du calcul politique ?

Une transition qui vacille entre promesses et contradictions

Arrivé au pouvoir en 2021 par un coup d’État contre Alpha Condé, Mamadi Doumbouya s’était posé en chantre de la refondation institutionnelle et de la lutte contre l’impunité. Sa décision actuelle, jugée incohérente avec cette ligne, fragilise sa crédibilité. « Nous pensons simplement que leur affaire est basée sur des fins électorales à venir. L’homme fort actuel du pays veut déjà arranger son lit », a confié un citoyen au Guinéen, résumant le sentiment d’un peuple tiraillé entre espoirs de changement et désillusions répétées.

Vers une montée des tensions ?

Au-delà de la scène politique, la grâce de Dadis Camara ravive aussi des tensions ethniques et régionales, que le pays tente depuis des années de contenir. Des rassemblements spontanés, des prises de parole musclées sur les réseaux sociaux et une nervosité palpable dans plusieurs villes indiquent que la décision présidentielle pourrait rallumer des braises dormantes.

Alors que le procès en appel se profile, une question majeure reste en suspens : la Guinée choisira-t-elle d’avancer sur la voie d’une véritable justice ou préférera-t-elle les compromis du pouvoir ? Mamadi Doumbouya, en graciant Dadis Camara, a fait un pari risqué. Reste à savoir s’il en sortira renforcé… ou affaibli.

Times Infos 

Par Koné Dialo. 

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