L’affaire opposant le milliardaire camerounais Baba Ahmadou Danpullo aux filiales camerounaises des géants sud-africains MTN et Chococam dépasse le simple cadre d’un litige commercial. Avec 420 millions d’euros en jeu, ce conflit met en lumière les tensions économiques et juridiques entre les milieux d’affaires camerounais et sud-africains, risquant d’avoir des répercussions profondes sur l’environnement des affaires au Cameroun et au-delà.
Tout commence avec la saisie des biens immobiliers de Danpullo en Afrique du Sud par la First National Bank (FNB), en raison d’un différend sur un prêt immobilier. Estimant être victime d’un traitement discriminatoire, l’homme d’affaires camerounais riposte en ciblant les intérêts sud-africains dans son pays natal, obtenant la saisie des comptes bancaires de MTN Cameroun et Chococam, une filiale du groupe agroalimentaire Tiger Brands.
Une décision de justice ignorée : un précédent inquiétant
Le 24 février, un tribunal camerounais ordonne la levée de la saisie des comptes de MTN Cameroun, soulignant l’absence de lien juridique direct entre l’opérateur télécom et le litige entre Danpullo et la FNB. Pourtant, contre toute attente, les avocats du milliardaire prennent l’initiative, deux jours plus tard, de contacter trois banques afin de maintenir le gel des fonds. Une manœuvre qui soulève de nombreuses questions sur le respect des décisions de justice et l’état de droit au Cameroun.
Cette situation crée un précédent inquiétant : une entreprise, en l’occurrence MTN Cameroun, se voit prise en otage dans un conflit qui ne la concerne pas directement. En maintenant la saisie malgré l’injonction judiciaire, Danpullo et son équipe défient non seulement le système judiciaire camerounais mais aussi les principes de sécurité juridique essentiels à toute économie fonctionnelle.
MTN Cameroun sous pression : un risque pour l’économie nationale
Pour MTN Cameroun, cette saisie représente une menace majeure. L’opérateur, qui revendique plus de 10 millions d’abonnés et emploie directement ou indirectement des milliers de Camerounais, se retrouve dans une situation financière précaire. Son PDG, Mitwa Ng’ambi, a exprimé son indignation face à cette mesure qu’il juge abusive, soulignant qu’elle met en péril la stabilité de l’entreprise et la continuité des services de télécommunication essentiels à des millions d’utilisateurs.
Le risque est réel : si MTN venait à suspendre ses activités ou à réduire ses investissements en raison de cette instabilité, les conséquences se feraient ressentir bien au-delà de l’entreprise elle-même. L’écosystème économique autour de l’opérateur – employeurs, sous-traitants, startups numériques et consommateurs – pourrait subir des pertes significatives, menaçant l’emploi et la croissance du secteur technologique camerounais.
Un conflit révélateur des tensions économiques entre le Cameroun et l’Afrique du Sud
Cette affaire met également en lumière les relations parfois fragiles entre le Cameroun et l’Afrique du Sud sur le plan économique. En s’attaquant à MTN et Chococam, Danpullo cible directement des entreprises sud-africaines présentes au Cameroun depuis plusieurs décennies. Cela pourrait dissuader d’autres investisseurs étrangers, notamment sud-africains, de s’implanter ou de renforcer leur présence sur le marché camerounais, par crainte d’un environnement des affaires trop instable.
Par ailleurs, la manière dont cette affaire est gérée pourrait avoir des répercussions diplomatiques. Si Pretoria estime que ses entreprises sont injustement ciblées, cela pourrait détériorer les relations bilatérales entre les deux nations et impacter les échanges économiques à long terme.
Un test pour la justice camerounaise
L’issue de cette affaire sera un véritable test pour l’indépendance et la crédibilité du système judiciaire camerounais. Si les décisions de justice continuent d’être contournées, cela enverra un signal négatif aux investisseurs nationaux et internationaux, renforçant le climat d’incertitude juridique.
En revanche, si les tribunaux réussissent à imposer le respect de leurs décisions, cela pourrait renforcer la confiance des acteurs économiques et prouver que l’État de droit est une réalité au Cameroun. Il en va non seulement de l’issue de ce bras de fer financier, mais aussi de l’image du pays sur la scène économique africaine.
Un équilibre à trouver entre justice et stabilité économique
L’affaire Danpullo est bien plus qu’un simple litige commercial. Elle illustre les défis liés à la protection des investissements, la stabilité des entreprises et la primauté du droit au Cameroun. Alors que le milliardaire camerounais poursuit son offensive, les entreprises visées, notamment MTN, tentent de préserver leurs opérations dans un contexte d’incertitude.
L’État camerounais doit jouer un rôle décisif pour éviter que cette affaire ne crée un précédent dangereux. Trouver un équilibre entre la défense des intérêts nationaux et le respect des engagements économiques est essentiel pour garantir un environnement des affaires attractif et stable. Une chose est sûre : cette affaire fera date dans l’histoire économique et judiciaire du Cameroun.
Times Infos
Par Cédric Baloch.