Démissions en série dans les partis politiques au Gabon : Entre repositionnement stratégique et opportunisme politique

Depuis plusieurs mois, le paysage politique gabonais est secoué par une série de démissions de militants, cadres et figures emblématiques issus de diverses formations politiques. Ce phénomène, loin d’être anodin, semble traduire une mutation profonde dans la dynamique du pouvoir et des alliances. Alors que la Transition s’achève et que le président fraîchement élu, Brice Clotaire Oligui Nguema, a déjà entamé un mandat légitime, une question centrale s’impose : vers quelle destination ces démissionnaires se dirigent-ils et dans quelle intention ?

La Transition, catalyseur d’un bouleversement politique

Le 30 août 2023 restera à jamais une date charnière dans l’histoire politique du Gabon. Ce jour-là, un coup d’État militaire met fin à plus d’un demi-siècle de règne de la famille Bongo. Ali Bongo Ondimba, affaibli par les crises internes et décrié par une grande partie de l’opinion publique, est écarté du pouvoir. À sa place, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, à la tête du CTRI (Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions), assure la conduite d’une transition politique présentée comme salvatrice.

Durant près de 19 mois, cette transition va redéfinir les contours de la gouvernance, bouleverser les habitudes des partis politiques, et surtout instaurer une attente forte d’un « nouveau Gabon », débarrassé des vieux démons de la corruption, du clientélisme et de la politique d’apparatchiks. Le 12 avril 2025, l’élection présidentielle voit Oligui Nguema triompher avec 94,85 % des voix. Un score sans appel, certes, mais qui alimente aussi des interrogations sur la maturité politique de l’électorat et la pluralité réelle du débat démocratique.

Un exode politique sans précédent

Depuis ce tournant historique, une vague sans précédent de démissions secoue les formations politiques, qu’elles soient de l’ancienne majorité, de l’opposition institutionnelle ou des partis émergents. Ce phénomène laisse entrevoir une crise de positionnement idéologique doublée d’une quête fébrile d’alignement au nouveau centre du pouvoir.

Nombre d’analystes politiques y voient les signes d’un repositionnement stratégique motivé par l’anticipation de la création prochaine d’un nouveau parti politique présidentiel. L’idée d’un « grand parti unificateur », porté par Oligui Nguema, circule avec insistance dans les cercles politiques et diplomatiques. Pour de nombreux militants, la tentation est grande de sauter dans ce qui pourrait devenir le « nouveau navire présidentiel », quitte à renier leur passé militant.

Le retour du culte de la personnalité ?

Ce phénomène s’accompagne d’un glissement inquiétant vers une nouvelle forme de culte de la personnalité. Après avoir dénoncé pendant des années l’ »Ali Bongoïsme« , caractérisé par une fidélité de façade et un clientélisme exacerbé, le Gabon semble retomber dans les mêmes travers sous un nouveau visage. On parle désormais de « Kounabélisme », pour décrire cette attitude d’obséquiosité excessive envers le pouvoir en place, souvent motivée par des intérêts personnels : postes administratifs, nominations stratégiques, accès aux cercles du pouvoir.

Ce comportement, dénoncé par une partie de la société civile et des observateurs internationaux, pose la question de la sincérité des engagements politiques. Que vaut une démocratie où les convictions idéologiques s’effondrent au gré des vagues électorales ? À quel moment la politique a-t-elle cessé d’être un engagement de fond pour devenir une simple stratégie d’ascension sociale ?

Un test de gouvernance pour Oligui Nguema

Face à cet afflux de « ralliements », souvent intéressés, Brice Clotaire Oligui Nguema est placé devant un dilemme de taille : ouvrir largement les portes de sa future formation politique à tous ceux qui souhaitent le rejoindre, au risque d’y intégrer des opportunistes de tout bord ; ou au contraire, adopter une politique de filtre rigoureux, fondée sur l’éthique, la compétence et l’engagement sincère pour le développement du pays.

Le chef de l’État, qui s’est présenté comme l’homme du renouveau, aura l’occasion de démontrer sa volonté réelle de rompre avec les pratiques du passé. Refuser les transhumances politiques motivées uniquement par des calculs personnels serait un signal fort envoyé à l’opinion nationale et à la communauté internationale.

Vers une reconfiguration politique ou une continuité déguisée ?

La grande inconnue reste la direction que prendra cette recomposition politique. Sera-t-elle l’occasion d’un vrai renouveau, avec de nouvelles figures, des idées fraîches et un projet de société structuré ? Ou s’agira-t-il simplement d’un recyclage des mêmes acteurs, sous un nouveau label, perpétuant ainsi le cycle des désillusions ?

Dans tous les cas, la société gabonaise, plus éveillée que jamais, observe. Et les citoyens attendent de leurs dirigeants une cohérence entre les discours de rupture et les actes de gouvernance. L’histoire nous dira si ce tournant était une renaissance politique… ou une illusion de changement.

Par la Rédaction – Times Infos
Libreville, mai 2025.

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