Depuis le coup d’État du 5 septembre 2021, qui a porté au pouvoir le colonel Mamadi Doumbouya, la question de la loyauté de l’armée guinéenne à son égard reste centrale dans l’évolution politique du pays. Doumbouya, ancien commandant des forces spéciales, a renversé Alpha Condé, promettant un retour rapide à un gouvernement civil. Cependant, deux ans plus tard, la Guinée est toujours sous la direction militaire, et la stabilité du pouvoir de Doumbouya repose en grande partie sur le soutien continu des forces armées. Mais, pour combien de temps encore l’armée restera-t-elle fidèle à son chef ?
Le coup d’état et la consolidation du pouvoir
Lorsque Mamadi Doumbouya et ses hommes ont pris le contrôle de Conakry en 2021, leur action a été saluée par une partie de la population guinéenne fatiguée des tensions sous le régime d’Alpha Condé. Le nouvel homme fort a rapidement émis des décrets visant à réformer les institutions, à combattre la corruption et à favoriser la paix sociale. Cependant, la stabilité de son régime repose avant tout sur sa capacité à garder la confiance de l’armée.
Doumbouya a pris soin de consolider son emprise en restructurant les forces armées, en promouvant des officiers fidèles et en réprimant toute opposition potentielle. Cette stratégie lui a permis de renforcer sa position à court terme, mais elle pourrait se retourner contre lui si certains segments de l’armée se sentent marginalisés ou écartés du pouvoir. Dans plusieurs régimes militaires, les révoltes internes naissent souvent de frustrations liées à des promotions perçues comme injustes ou à des déséquilibres ethniques ou régionaux au sein de l’appareil militaire.
L’armée, pilier du régime ou risque de fracture ?
L’histoire politique de la Guinée montre que l’armée a souvent joué un rôle central dans les transitions de pouvoir. Toutefois, la loyauté de l’armée n’est jamais garantie indéfiniment. Si le colonel Doumbouya a réussi à établir un équilibre au sein des forces armées, cet équilibre demeure fragile. Les officiers guinéens sont issus de diverses ethnies et régions, et chaque groupe a ses propres intérêts à défendre.
Le pouvoir de Doumbouya dépend de sa capacité à maintenir une harmonie entre ces différentes factions. Toute perception de favoritisme, notamment en termes de promotions ou de répartition des richesses, pourrait mener à des dissensions internes. Un autre facteur à prendre en compte est la gestion de l’après-transition. Si les militaires estiment que la transition vers un régime civil pourrait mettre en péril leurs privilèges, cela pourrait engendrer des tensions voire des tentatives de coup d’État en interne.
Les défis d’une Transition politique prolongée
Un autre facteur critique dans la fidélité de l’armée est la durée de la transition politique. Bien que Doumbouya ait promis un retour à un gouvernement civil, la transition semble s’étirer. Les populations civiles commencent à exprimer une certaine impatience face à l’absence de progrès concrets. L’armée, de son côté, peut percevoir ce climat de frustration populaire comme une menace pour la stabilité du régime.
En outre, la communauté internationale, notamment la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), a exercé une pression considérable sur les autorités guinéennes pour accélérer la transition démocratique. Les sanctions économiques imposées en réponse à la prise de pouvoir militaire ont contribué à accentuer ces pressions. Si Doumbouya échoue à gérer ces forces contradictoires, les tensions sociales pourraient dégénérer, mettant à l’épreuve la loyauté de l’armée.
Les enjeux internationaux et les alliances régionales
Dans de nombreux pays africains, la stabilité des régimes militaires repose aussi sur leurs alliances régionales et internationales. Mamadi Doumbouya, conscient des critiques internationales, a cherché à diversifier ses partenariats stratégiques en renforçant ses relations avec des puissances telles que la Russie et la Turquie, tout en maintenant un dialogue prudent avec les pays occidentaux.
Cependant, l’isolement diplomatique et les sanctions économiques peuvent fragiliser le soutien interne, notamment au sein de l’armée, qui pourrait se sentir lésée par les restrictions économiques affectant ses avantages. Si Doumbouya parvient à rassurer ses alliés régionaux et à obtenir des concessions internationales, il pourra atténuer certaines des pressions externes. Mais une perte de soutien diplomatique ou un accroissement des sanctions économiques pourrait également affaiblir son emprise sur les forces armées.
Scénarios d’avenir : Vers une évolution pacifique ou une nouvelle instabilité ?
L’avenir de la loyauté de l’armée guinéenne à Mamadi Doumbouya dépendra donc en grande partie de sa capacité à concilier plusieurs dynamiques. Il doit d’une part maintenir l’unité des forces armées, tout en progressant vers une transition politique crédible aux yeux de la communauté internationale et de la population guinéenne.
En cas de mauvaise gestion de ces équilibres, le scénario d’un renversement interne n’est pas à exclure. Des fractures au sein de l’armée, combinées à un mécontentement populaire, pourraient déboucher sur un autre coup d’État ou sur des tentatives de déstabilisation du régime. Toutefois, si Doumbouya réussit à apaiser les tensions internes et à gérer la transition de manière inclusive, il pourrait stabiliser durablement son pouvoir tout en rétablissant la confiance des civils.
Un pouvoir sous surveillance
La loyauté de l’armée envers Mamadi Doumbouya est un facteur déterminant pour la survie de son régime. Le défi pour le colonel est de maintenir l’unité au sein des forces armées tout en répondant aux exigences de la transition démocratique. À ce jour, l’équilibre semble précaire, et l’avenir de la Guinée reste incertain, oscillant entre la stabilité militaire et le risque de nouvelles fractures internes.
Times Infos
Par Habib Keita.