Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, en accueillant la COP29 à Bakou en novembre, entend se positionner sur la scène internationale comme un leader affirmé et capable de rivaliser avec les puissances occidentales, notamment la France. Depuis plusieurs années, Aliyev déploie une stratégie diplomatique offensive, visant à contrer l’influence française non seulement dans le Caucase, mais également en Afrique. Ce virage politique pourrait bien redéfinir les équilibres géopolitiques sur le continent africain, dans un contexte de remise en question de l’héritage colonial et de recherche d’alliances stratégiques nouvelles par plusieurs États africains.
Le conflit du Haut-Karabakh comme catalyseur d’une rivalité avec Paris
La relation tendue entre Bakou et Paris prend ses racines dans le conflit du Haut-Karabakh, une région disputée entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie depuis plusieurs décennies. La récente victoire militaire de l’Azerbaïdjan en 2020, grâce au soutien de la Turquie et à des moyens militaires modernes, a ravivé des tensions internationales. Emmanuel Macron, en affichant un soutien explicite à l’Arménie, a directement irrité Ilham Aliyev, qui considère désormais la France comme un adversaire stratégique. Ce soutien a cristallisé la rivalité, et Bakou perçoit ce positionnement comme une menace directe à sa souveraineté sur le Haut-Karabakh.
Aliyev, en réponse, cherche à marginaliser la France sur la scène internationale en utilisant des canaux d’influence divers. L’organisation de la COP29 à Bakou devient pour lui une opportunité symbolique de promouvoir l’image d’un Azerbaïdjan moderne, puissant et autonome, tout en ostracisant la France et en érodant son influence dans des régions du monde historiquement marquées par sa présence.
Une offensive diplomatique tournée vers l’Afrique
L’une des facettes les plus remarquables de cette stratégie consiste en une offensive diplomatique vers l’Afrique. En s’adressant aux pays africains, Aliyev voit une opportunité de s’inscrire dans une relation de partenariat fondée sur une approche pragmatique et économique, à l’opposé du discours souvent moralisateur des puissances occidentales. L’Azerbaïdjan, fort de sa richesse en hydrocarbures, offre aux États africains des alternatives de coopération sur le plan énergétique, particulièrement dans le domaine du gaz, à une époque où de nombreux pays cherchent à diversifier leurs fournisseurs pour réduire leur dépendance à l’égard de l’Europe ou des États-Unis.
Cette politique vise non seulement à contrer la France, mais aussi à affirmer Bakou comme un acteur incontournable en Afrique, à la manière de la Turquie, de la Russie et de la Chine. Ces dernières années, plusieurs États africains ont montré un intérêt croissant pour des partenariats économiques avec des pays qui ne sont pas les anciennes puissances coloniales, cherchant ainsi à se libérer de ce qu’ils perçoivent comme une tutelle étouffante. En ciblant spécifiquement ces États, Aliyev entend tirer profit de ce ressentiment postcolonial en adoptant un discours de solidarité entre « nations indépendantes » face aux « ingérences » occidentales.
Un défi pour la diplomatie française en Afrique
Pour la France, l’initiative d’Aliyev représente un défi supplémentaire dans un contexte déjà tendu. Au cours des dernières années, Paris a perdu du terrain en Afrique, notamment dans le Sahel où des États comme le Mali et le Burkina Faso ont rompu leurs alliances militaires et diplomatiques avec la France au profit de nouvelles puissances, souvent soutenues par la Russie. Cette perte d’influence s’est accompagnée de critiques virulentes sur la politique française perçue comme paternaliste et incapable de s’adapter aux aspirations de souveraineté des États africains.
Avec l’Azerbaïdjan en embuscade, la France se trouve dans une situation délicate. La stratégie d’Aliyev est en effet habilement calibrée pour exploiter les failles du dispositif diplomatique français. En proposant une coopération sans condition sur des aspects clés tels que les infrastructures, les ressources naturelles, et la sécurité énergétique, l’Azerbaïdjan se positionne comme un partenaire attractif pour des États africains en quête de financements et de partenaires techniques. Si Bakou parvient à gagner en influence, cela pourrait contribuer à isoler encore davantage Paris dans ses relations avec le continent.
COP29 : un coup d’éclat pour renforcer le soft power azerbaïdjanais
La conférence COP29, organisée à Bakou, devient le point culminant de cette offensive géopolitique. Bien que traditionnellement une rencontre sur les questions climatiques, elle offre à Ilham Aliyev une vitrine mondiale pour promouvoir l’Azerbaïdjan comme une nation moderne, influente, et capable d’être un leader du développement durable dans une région complexe. En orchestrant cet événement, Aliyev veut montrer un visage progressiste, capable de gérer les enjeux climatiques globaux, et, par ricochet, de se positionner en interlocuteur crédible pour les pays africains souvent touchés par les effets du changement climatique.
Pour Bakou, l’organisation de la COP29 ne se limite donc pas aux enjeux environnementaux ; il s’agit d’une manœuvre de soft power visant à repositionner l’Azerbaïdjan sur la scène internationale. Aliyev espère ainsi attirer l’attention de nombreux pays africains, intéressés par de nouveaux partenariats sur des sujets comme les énergies renouvelables, la gestion des ressources naturelles et la résilience climatique, domaines dans lesquels la France avait historiquement une influence majeure. Cette démarche pourrait renforcer la présence de Bakou en Afrique et symboliser une défaite diplomatique de la France sur un terrain où elle se revendiquait comme un acteur majeur.
Vers un nouvel ordre géopolitique en Afrique ?
L’offensive d’Aliyev s’inscrit dans une tendance plus large, marquée par la montée de nouvelles puissances non occidentales sur le continent africain. En proposant une alternative à la France, Ilham Aliyev exploite non seulement les rivalités géopolitiques, mais aussi un profond désir de changement de nombreux États africains, soucieux de redéfinir leur place dans un monde multipolaire. Si cette stratégie réussit, elle pourrait redessiner les contours des relations internationales en Afrique, en faisant de l’Azerbaïdjan un acteur majeur et en accélérant le déclin de l’influence française.
Cependant, cette approche comporte des risques pour Bakou. Le continent africain est un espace où les rivalités géopolitiques sont intenses, et Aliyev devra compter avec des concurrents redoutables comme la Russie, la Chine et la Turquie, qui disposent déjà d’ancrages solides. De plus, pour que sa stratégie porte ses fruits, l’Azerbaïdjan devra démontrer une capacité à offrir des partenariats durables et bénéfiques aux pays africains, au-delà des simples opportunités économiques.
En conclusion, l’offensive d’Ilham Aliyev contre la France marque une étape importante dans la stratégie d’internationalisation de l’Azerbaïdjan. En s’attaquant à l’influence française en Afrique, le président azerbaïdjanais cherche non seulement à punir Emmanuel Macron pour son soutien à l’Arménie, mais aussi à repositionner son pays comme un acteur indépendant et influent dans un monde en recomposition. Reste à voir si cette manœuvre lui permettra d’atteindre ses objectifs, ou si elle finira par intensifier davantage les tensions sur la scène géopolitique africaine.
Times Infos
Par Mahmoud Shafk.