Au terme de son mandat présidentiel, une question complexe se pose dans les cercles politiques et judiciaires au Sénégal : Macky Sall pourrait-il être jugé pour des actes commis durant son exercice du pouvoir ? Derrière cette interrogation se cachent des enjeux liés à l’immunité présidentielle, à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance du système judiciaire sénégalais. Pour répondre de manière nuancée à cette question, il est essentiel d’examiner plusieurs facteurs déterminants.
L’immunité présidentielle : Une protection temporaire
Comme beaucoup de chefs d’État à travers le monde, Macky Sall bénéficie de l’immunité présidentielle pendant toute la durée de son mandat. Cette immunité est conçue pour protéger les présidents des poursuites judiciaires concernant des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions officielles. Elle vise à leur permettre de gouverner sans craindre des actions légales fréquentes qui pourraient perturber la stabilité politique du pays.
Toutefois, cette protection est temporaire. Une fois le mandat présidentiel terminé, l’ancien président redevient un citoyen comme les autres sur le plan juridique, et l’immunité ne s’applique plus. À ce moment-là, Macky Sall pourrait être jugé pour des actes présumés criminels ou des abus de pouvoir commis pendant ou après son mandat. Cependant, la mise en œuvre de ces poursuites dépend largement du contexte politique et judiciaire du Sénégal post-présidence.
Les défis de la poursuite judiciaire après le mandat
Même après avoir quitté la présidence, les poursuites judiciaires contre un ancien chef d’État ne sont pas une démarche aisée. Plusieurs défis se posent. D’une part, l’influence politique résiduelle que Macky Sall pourrait conserver, tant au sein des institutions qu’auprès de certains groupes de pouvoir, pourrait entraver tout processus judiciaire. D’autre part, la capacité et l’indépendance du système judiciaire sénégalais à traiter des affaires d’une telle envergure restent un facteur critique. L’ancien président pourrait encore disposer d’alliés stratégiques dans la magistrature ou au sein de la sphère politique, ce qui compliquerait l’engagement de poursuites judiciaires impartiales.
Il est également crucial de considérer les charges spécifiques qui pourraient être portées contre Macky Sall. S’il s’agit de crimes graves, tels que des violations des droits humains, des détournements de fonds publics ou des abus d’autorité, ces accusations pourraient attirer l’attention non seulement au niveau national, mais aussi international. Cependant, des accusations moins graves pourraient facilement être étouffées ou retardées dans un contexte de pression politique.
Le cadre régional et international : Une épée de damoclès
Le Sénégal, en tant que signataire de la Cour pénale internationale (CPI), a l’obligation de poursuivre ou d’extrader toute personne accusée de crimes graves comme le génocide, les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre. Cela signifie que, dans l’éventualité où Macky Sall serait accusé de tels crimes et que le Sénégal ne peut ou ne veut pas le juger, la CPI pourrait intervenir. C’est ce qui s’est produit dans d’autres pays africains, où des anciens présidents ou dirigeants ont été traduits devant des tribunaux internationaux après leur mandat.
Cependant, l’option de la CPI n’est valable que pour des crimes d’une gravité exceptionnelle et si le système judiciaire sénégalais est considéré comme incapable d’offrir un procès équitable. En outre, dans le cas d’accusations moins graves, comme des actes de corruption ou des abus de pouvoir ordinaires, ce sont les tribunaux nationaux qui seraient les mieux placés pour juger Macky Sall. Cela ramène le débat à l’indépendance et l’efficacité du système judiciaire local.
L’opinion publique et la volonté politique
Au-delà des aspects juridiques et institutionnels, le rôle de l’opinion publique ne doit pas être sous-estimé dans la possibilité d’un procès post-présidence. Si une large partie de la population sénégalaise demande des comptes, le poids de la pression publique pourrait forcer les autorités à entamer des poursuites judiciaires. De nombreux exemples montrent que la volonté populaire peut influencer des décisions politiques, en particulier dans des démocraties en développement comme le Sénégal.
Cependant, la question reste de savoir si cette pression se matérialisera. Macky Sall a occupé une place centrale dans la vie politique du pays pendant de nombreuses années, et son départ pourrait être perçu, pour certains, comme une opportunité de tourner la page. D’autres pourraient au contraire exiger justice pour des faits qui auraient entaché son mandat, en fonction des critiques émises contre sa gestion du pouvoir.
Des précédents africains et internationaux
D’autres pays africains ont déjà expérimenté le procès d’anciens présidents. Au Burkina Faso, Blaise Compaoré a été condamné pour son rôle dans l’assassinat de Thomas Sankara. En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo a été jugé par la CPI avant d’être acquitté. Ces précédents montrent que les anciens présidents peuvent être tenus responsables de leurs actions, même dans des contextes où ils exercent une influence politique importante. Néanmoins, ces procès ont souvent nécessité une conjonction de facteurs – pression interne, engagement international et volontés politiques fortes.
Un procès hypothétique, mais possible
En résumé, Macky Sall pourrait être jugé au Sénégal après son mandat, mais cela dépend de nombreux facteurs interdépendants. L’absence d’immunité après la présidence ouvre la voie à des poursuites potentielles, mais leur concrétisation nécessiterait une indépendance judiciaire ferme, une volonté politique de transparence et une pression populaire suffisante. En outre, la possibilité d’un recours à la justice internationale, via la Cour pénale internationale, pourrait s’imposer en cas de crimes graves.
Qu’il s’agisse d’une quête de justice ou d’une instrumentalisation politique, l’avenir judiciaire de Macky Sall sera scruté de près dans les années à venir.
Times Infos
Par Pap Ndiaye.