Depuis son entrée en vigueur en 2021, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) a été saluée comme une initiative majeure pour l’Afrique. Ce vaste projet, signé par 54 pays africains, vise à stimuler le commerce intra-africain, réduire la dépendance aux exportations extra-africaines, et favoriser l’industrialisation du continent. La ZLECAF promet de créer un marché unique de plus de 1,3 milliard de consommateurs, avec un PIB combiné de 3 400 milliards de dollars. Pourtant, malgré ces ambitions louables, la mise en œuvre de cet accord historique est confrontée à des obstacles structurels qui menacent de freiner ses bénéfices escomptés.
Des infrastructures insuffisantes : Un frein à la croissance du commerce intra-africain
Le premier grand défi auquel se heurte la ZLECAF est le déficit massif d’infrastructures. Les réseaux de transport – qu’il s’agisse des routes, des chemins de fer ou des ports – sont souvent sous-développés, rendant difficile le transport de marchandises à travers les frontières. Un conteneur qui doit passer d’un pays à un autre peut prendre plusieurs semaines à arriver à destination en raison de routes délabrées et de systèmes ferroviaires peu connectés. Cette faiblesse logistique accroît les coûts des entreprises, rendant les produits africains moins compétitifs, même sur le marché intra-continental. Le développement des infrastructures est donc essentiel pour réduire ces délais et coûts, mais cela nécessitera des investissements considérables, souvent difficiles à mobiliser pour de nombreux pays africains.
Barrières non tarifaires : L’enjeu de la bureaucratie et de la corruption
Bien que la ZLECAF vise à réduire, voire éliminer, les droits de douane entre ses membres, les barrières non tarifaires restent un obstacle majeur à la libre circulation des biens et des services. Les entreprises africaines sont souvent confrontées à des réglementations complexes et divergentes entre les pays, des formalités administratives lourdes, et une corruption omniprésente aux postes frontaliers. Ces obstacles ralentissent les échanges, créent des incertitudes pour les entreprises, et compliquent l’accès aux marchés pour les petites et moyennes entreprises (PME) africaines. L’harmonisation des réglementations et la lutte contre la corruption sont donc des enjeux centraux pour maximiser les bénéfices du libre-échange. Mais, ces réformes nécessitent un engagement politique et institutionnel qui, pour l’instant, reste insuffisant dans plusieurs États membres.
Le défi de l’industrialisation : Un tournant essentiel pour la ZLECAF
Pour que la ZLECAF atteigne son plein potentiel, il est essentiel que les économies africaines se diversifient et s’industrialisent. Or, la plupart des pays africains sont encore fortement dépendants de l’exportation de matières premières, ce qui les rend vulnérables aux fluctuations des prix mondiaux. L’accord de libre-échange vise justement à stimuler la création de chaînes de valeur continentales et à favoriser le développement industriel. Cependant, cela ne pourra se faire sans des investissements massifs dans les infrastructures de production, la formation d’une main-d’œuvre qualifiée, et l’accès aux technologies modernes. Le risque est grand que les économies les plus avancées du continent – comme l’Afrique du Sud ou le Kenya – bénéficient davantage de l’ouverture des marchés, creusant encore les écarts économiques entre les pays.
Les disparités économiques : Un risque pour l’intégration harmonieuse
La ZLECAF repose sur une intégration économique entre des pays aux niveaux de développement très disparates. Certaines nations, notamment en Afrique du Nord et en Afrique australe, possèdent des infrastructures plus développées et des industries compétitives, tandis que d’autres pays, en particulier dans les régions les moins développées, peinent à soutenir leurs économies locales. Cette disparité crée des craintes parmi les pays les moins industrialisés, qui redoutent que leurs industries locales soient écrasées par une concurrence déloyale avec les grandes économies régionales. Si ces déséquilibres ne sont pas traités de manière équitable, l’intégration commerciale pourrait favoriser uniquement les économies les plus fortes, compromettant l’objectif de développement inclusif.
Gouvernance et stabilité politique : Des freins structurels à la mise en œuvre
Le succès de la ZLECAF dépend aussi des capacités des États à assurer une gouvernance stable et efficace. Dans plusieurs pays, des problèmes de corruption, des conflits internes, et une instabilité politique chronique menacent la mise en œuvre des réformes nécessaires pour bénéficier pleinement de cet accord. Les investisseurs étrangers, qui pourraient jouer un rôle clé dans le développement industriel du continent, hésitent à investir dans des environnements marqués par l’incertitude politique et la mauvaise gouvernance. Pour surmonter ces obstacles, il est impératif que les États africains renforcent leurs institutions, assurent la transparence, et garantissent un climat politique stable et propice aux affaires.
Harmonisation des régulations : Un processus loin d’être achevé
L’un des aspects les plus complexes de la ZLECAF est l’harmonisation des normes et réglementations entre les pays membres. Les différences dans les normes de qualité, les régulations sanitaires, et les législations fiscales rendent le commerce transfrontalier difficile. Alors que certains pays ont commencé à harmoniser leurs cadres juridiques, ce processus est loin d’être achevé, et les divergences entre les systèmes nationaux continuent d’entraver les échanges. Pour que la ZLECAF atteigne ses objectifs, un effort concerté est nécessaire pour aligner les régulations dans des secteurs clés tels que l’agriculture, l’industrie, et les services.
La ZLECAF, une promesse encore fragile
La ZLECAF représente une opportunité sans précédent pour l’Afrique de s’unir économiquement et de prendre en main son destin commercial. Cependant, la réalisation de cette vision se heurte à des réalités complexes qui ralentissent la dynamique. Les infrastructures sous-développées, les barrières non tarifaires, la faiblesse de l’industrialisation, les disparités économiques, et les défis de gouvernance constituent autant d’obstacles à surmonter pour que l’intégration économique soit une réussite. Si ces défis sont relevés, la ZLECAF pourrait transformer le paysage économique africain et offrir des perspectives de croissance inclusives et durables. En attendant, le rêve d’un marché africain unifié reste à mi-chemin entre ambition et réalité.
Times Infos
Par Amir Baron.