La rupture entre deux figures majeures de l’opposition ivoirienne est désormais consommée. Alors que Tidjane Thiam, président du PDCI-RDA, voit son éligibilité contestée à quelques mois de la présidentielle de 2025, Laurent Gbagbo, chef du PPA-CI, choisit de garder ses distances. Derrière ce refroidissement, se dessinent des désaccords profonds et une stratégie d’émancipation politique assumée par l’ancien président.
Une fracture idéologique plus qu’une simple querelle d’ego
La tension entre Gbagbo et Thiam dépasse largement les malentendus personnels. Elle est d’abord idéologique. D’un côté, Tidjane Thiam, ex-banquier d’affaires à l’international, porte une vision libérale, teintée d’une approche technocratique des enjeux économiques. De l’autre, Laurent Gbagbo, fidèle à ses racines socialistes, continue de défendre une conception interventionniste de l’État, ancrée dans les luttes populaires. Ce choc des visions, rarement abordé frontalement, éclate aujourd’hui au grand jour, fragilisant l’idée d’une opposition unie face au RHDP au pouvoir.
La méfiance historique, un poison lent mais inévitable
La méfiance de Gbagbo envers Thiam n’est pas née hier. Longtemps, dans l’ombre, l’ancien président a vu d’un mauvais œil l’ascension d’un homme qu’il considère comme un produit de « l’establishment » occidental, éloigné des réalités ivoiriennes. En filigrane, Gbagbo soupçonne Thiam d’incarner une élite déconnectée, plus soucieuse de réformes de façade que de ruptures profondes avec l’ordre existant. Dans ce contexte, la question de la double nationalité de Thiam (ivoirienne et française) a offert à Gbagbo un angle d’attaque pour délégitimer son rival aux yeux d’une frange de l’opinion publique nationaliste.
Une stratégie solitaire qui fragilise l’opposition
En décidant de ne pas rejoindre la coalition CAP Côte d’Ivoire, initiée par Thiam, Blé Goudé et Simone Gbagbo, Laurent Gbagbo affirme son refus de toute alliance de circonstance. Mais à quel prix ? Cette division de l’opposition fait clairement le jeu du pouvoir en place, qui peut désormais espérer une réélection plus aisée face à une opposition éclatée. Le calcul de Gbagbo, s’il protège son image d’homme libre et intransigeant, expose néanmoins l’opposition à une lourde défaite en 2025, faute d’un front commun.
L’éternel retour du « Gbagboïsme » : fidélité ou obstination ?
À travers cette prise de distance, c’est tout le style Gbagbo qui ressurgit : celui d’un homme politique rétif aux compromis, attaché à sa base militante historique, mais souvent accusé d’immobilisme stratégique. S’il reste une icône pour une partie des Ivoiriens, son refus de s’adapter à de nouveaux rapports de force pourrait accélérer sa marginalisation politique. Face à une jeunesse ivoirienne plus pragmatique que nostalgique, Gbagbo risque de devenir le symbole d’une opposition incapable de se renouveler.
Entre réalisme politique et vieux démons
En politique, les alliances sont rarement des mariages d’amour. Dans un pays où la stabilité démocratique dépend encore de la capacité des grands acteurs à transcender leurs différends personnels, le duel à distance entre Gbagbo et Thiam sonne comme un avertissement. À l’heure où la Côte d’Ivoire aurait besoin d’une opposition forte et structurée pour équilibrer son jeu démocratique, les querelles d’ego et les calculs d’appareil prennent malheureusement le pas sur l’intérêt général.
Times Infos
Par Cédric Baloch.