Depuis le coup d’État de 2021 qui a renversé le président Alpha Condé, la Guinée est plongée dans une période de transition politique menée par le colonel Mamadi Doumbouya. Récemment, le chef de la junte s’est auto-promu au rang de général, un geste qui marque un nouveau chapitre dans son leadership et soulève des questions sur l’avenir de la transition en Guinée. Initialement prometteur d’un retour à un régime civil d’ici 2024, Doumbouya voit son acte d’auto-promotion susciter des interrogations et des réactions contrastées, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
Un coup d’État qui a modifié la donne en Guinée
En septembre 2021, Mamadi Doumbouya, alors colonel des Forces Spéciales guinéennes, prend les rênes du pays après un coup d’État contre Alpha Condé. Ce renversement a mis fin à la présidence controversée de Condé, caractérisée par des accusations de corruption, des violations des droits humains, et une modification de la constitution en 2020 pour se maintenir au pouvoir. Le coup d’État a été accueilli par une vague d’espoir parmi les Guinéens fatigués des abus du régime précédent, mais aussi par un certain scepticisme. Doumbouya, dans ses premiers discours, a promis une gouvernance transparente, une lutte contre la corruption et une transition démocratique permettant aux civils de retrouver les commandes de l’État dans un délai raisonnable.
La montée en grade : un geste stratégique ou un signe d’ambition durable ?
La récente auto-promotion de Mamadi Doumbouya au grade de général, le plus élevé de l’armée guinéenne, constitue un acte hautement symbolique. En se plaçant au sommet de la hiérarchie militaire, il envoie un message clair de fermeté et de contrôle. Cette décision est survenue lors d’une cérémonie militaire solennelle, montrant une volonté d’associer son image à celle des forces armées et de s’appuyer sur leur soutien pour asseoir son pouvoir. Cette promotion pourrait toutefois soulever des doutes quant à sa promesse de restituer le pouvoir aux civils, certains observateurs voyant dans ce geste un signe de prolongement de son leadership au-delà des délais initialement annoncés.
Pour Doumbouya, cette ascension pourrait également servir à consolider son autorité face aux éventuelles pressions, aussi bien internes qu’externes. En obtenant ce statut suprême, il s’assure une position de force pour négocier le processus de transition et, potentiellement, ses propres conditions de sortie du pouvoir. Toutefois, cette manœuvre pourrait aussi compliquer la légitimité de la transition aux yeux de la communauté internationale, qui pourrait percevoir cette auto-promotion comme un signe d’hésitation à organiser des élections libres dans les temps impartis.
Réactions et enjeux internationaux
L’auto-promotion de Doumbouya n’a pas laissé la communauté internationale indifférente. L’Union africaine et la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), qui avaient initialement soutenu la transition guinéenne, maintiennent une pression constante pour un retour rapide à un régime civil et démocratique. Ces organismes, de même que l’Union européenne et les États-Unis, ont exprimé leur préoccupation quant aux intentions réelles de Doumbouya et le respect de son engagement de transfert de pouvoir.
La promotion militaire du chef de la junte risque de renforcer la méfiance des partenaires internationaux qui pourraient conditionner leur aide économique à des preuves concrètes de bonne foi. En effet, les sanctions économiques et diplomatiques restent des leviers que la communauté internationale pourrait activer si la transition venait à s’éterniser ou à dévier de ses objectifs démocratiques. Pour la Guinée, qui dépend largement de l’aide extérieure et de ses exportations de bauxite, les conséquences d’une perte de soutien international seraient particulièrement lourdes.
Une Transition qui se complexifie
À l’intérieur du pays, l’auto-promotion de Doumbouya est perçue de manière mitigée. D’un côté, ses partisans voient en lui un dirigeant fort capable de stabiliser la Guinée, un pays historiquement marqué par l’instabilité politique. Les forces armées, dont il tire une large partie de son soutien, pourraient également y voir une preuve de loyauté et de respect envers leur institution. Cependant, pour une partie de la société civile et de l’opposition politique, cette promotion pourrait être interprétée comme un signe inquiétant d’une ambition politique durable, voire d’une velléité de prolonger indéfiniment son pouvoir.
Par ailleurs, certains leaders d’opinion, activistes et intellectuels guinéens appellent à la vigilance et exigent une plus grande transparence dans les processus de la transition. Ils craignent que cette montée en grade ne soit que le prélude à une militarisation accrue de l’État guinéen, une situation qui serait contraire aux promesses faites lors de la prise de pouvoir en 2021.
L’avenir de la Guinée : entre défis et incertitudes
La promotion de Mamadi Doumbouya au rang de général vient ajouter une nouvelle dimension aux défis de la transition guinéenne. Face aux attentes de la population, qui aspire à une gouvernance civile et démocratique, et aux pressions internationales, Doumbouya est confronté à une équation complexe. Son parcours à la tête de la Guinée, et les choix qu’il fera dans les mois à venir, détermineront non seulement son avenir politique, mais aussi celui de la transition et de la stabilité du pays.
Le défi pour le chef de la junte sera de démontrer que sa montée en grade ne signifie pas un reniement de ses engagements. Le respect du calendrier électoral, prévu pour 2024, et la mise en place de réformes démocratiques concrètes seront autant de gages de sa bonne foi. Toutefois, si des signes de déviation persistent, la Guinée pourrait bien se retrouver face à de nouvelles turbulences, renforçant le scepticisme et compromettant les espoirs d’un retour à la démocratie.
Times Infos
Par Moctar Diengue.