À Abidjan : la rencontre stratégique entre Laurent Gbagbo et l’Union Européenne soulève des curieuses interrogations

Laurent Gbagbo, figure emblématique de la politique ivoirienne, envisage un retour à la présidence, suscitant l’intérêt et l’attention des acteurs internationaux, y compris de l’Union européenne (UE). L’ancien chef d’État, acquitté par la Cour pénale internationale (CPI) en 2019, semble déterminé à reprendre les rênes du pays. Récemment, l’ambassadrice de l’UE en Côte d’Ivoire, Francesca Di Mauro, a engagé des discussions avec lui, soulignant les enjeux de la stabilité et du développement du pays.

Une rencontre sous le signe de la diplomatie et de la réconciliation

Cette rencontre entre Gbagbo et l’ambassadrice Di Mauro n’est pas seulement un acte symbolique, mais aussi une manœuvre stratégique pour l’UE. En effet, l’UE a un intérêt majeur dans la stabilité politique de la Côte d’Ivoire, une puissance économique majeure en Afrique de l’Ouest. Après les tensions qui ont marqué la crise post-électorale de 2010-2011, l’Union européenne a maintenu une position réservée vis-à-vis de Gbagbo. Cependant, son acquittement et son retour sur la scène politique changent la donne. Pour l’UE, cette prise de contact peut représenter une démarche de diplomatie préventive, visant à encourager un climat électoral pacifique et à éviter toute résurgence de violences.

L’ambassadrice Di Mauro a probablement abordé des questions de réconciliation nationale, de respect des droits humains et d’engagement démocratique, des valeurs essentielles aux relations bilatérales entre l’UE et les pays africains. La Côte d’Ivoire, marquée par des fractures politiques et ethniques, a encore besoin de renforcer sa cohésion, et l’UE pourrait jouer un rôle d’accompagnement dans ce processus. En outre, ce rapprochement pourrait également permettre à l’UE d’encourager un engagement de Gbagbo envers la paix et la stabilité.

Une candidature symbolique, mais clivante

La volonté de Laurent Gbagbo de briguer la présidence soulève des réactions contrastées en Côte d’Ivoire. Pour ses partisans, son retour symbolise la possibilité d’un véritable changement et la mise en œuvre d’une politique de réconciliation nationale. Ayant toujours incarné une certaine forme de résistance face aux influences extérieures, Gbagbo reste populaire auprès de nombreux Ivoiriens qui voient en lui une figure de défense des intérêts nationaux. Sa candidature est perçue par certains comme l’opportunité de revenir à une gestion « nationale » des affaires, loin des influences étrangères et des élites économiques qu’ils considèrent comme trop proches de l’Occident.

En revanche, d’autres craignent que son retour en politique ne ravive les anciennes tensions. La crise post-électorale de 2010, qui a conduit à des violences meurtrières, reste gravée dans les mémoires, et certains craignent une polarisation accrue si Gbagbo revient au pouvoir. Bien qu’il ait été acquitté par la CPI, le traumatisme de la crise persiste, et les divisions qu’elle a laissées sont toujours présentes dans le paysage politique. De nombreux observateurs pensent que l’UE pourrait jouer un rôle crucial dans la médiation et l’observation électorale, surtout dans un contexte de compétition accrue entre les différents courants politiques.

Un contexte économique et social délicat

La Côte d’Ivoire connaît une croissance économique significative depuis plusieurs années, mais cette prospérité reste marquée par des inégalités. Les infrastructures se développent, mais la population continue de ressentir les effets de la pauvreté et du chômage. Gbagbo pourrait capitaliser sur ces frustrations pour séduire une population déçue par l’inégalité croissante et l’accès limité aux services de base. Sa popularité repose en partie sur sa promesse de redistribuer les richesses, de prioriser les classes populaires et de remettre en question le système économique actuel.

Le dialogue engagé avec l’UE peut donc aussi être perçu comme un moyen pour les partenaires internationaux de s’assurer que le futur gouvernement ivoirien s’engagera dans des réformes économiques durables et inclusives. L’UE reste l’un des principaux partenaires commerciaux de la Côte d’Ivoire et pourrait jouer un rôle décisif dans l’accompagnement des réformes sociales et économiques du pays, en fonction des orientations politiques du prochain gouvernement.

Un enjeu régional pour l’Afrique de l’Ouest

Le retour en politique de Laurent Gbagbo pourrait aussi avoir des répercussions au-delà des frontières ivoiriennes. La Côte d’Ivoire est une puissance régionale en Afrique de l’Ouest, et sa stabilité est cruciale pour ses voisins, notamment le Burkina Faso, le Mali et le Liberia, pays également marqués par des défis sécuritaires et des transitions politiques délicates. Un éventuel retour de Gbagbo à la présidence pourrait influencer la manière dont ces pays abordent leurs propres processus de réconciliation et de gouvernance.

L’Union européenne, consciente des interconnexions régionales, pourrait voir cette situation comme une opportunité pour renforcer la coopération régionale en Afrique de l’Ouest. En soutenant un climat de stabilité en Côte d’Ivoire, l’UE pourrait contribuer indirectement à la sécurité régionale, essentielle pour lutter contre le terrorisme et les trafics transfrontaliers. Une Côte d’Ivoire stable et prospère pourrait servir de modèle pour les autres nations de la CEDEAO, l’organisation régionale qui promeut l’intégration économique et politique en Afrique de l’Ouest.

Un dialogue porteur d’espoir

La rencontre entre Laurent Gbagbo et l’ambassadrice de l’Union européenne en Côte d’Ivoire représente une ouverture diplomatique importante. Ce dialogue pourrait favoriser un climat politique plus apaisé et encourage la perspective d’élections pacifiques. Dans un contexte où les tensions politiques peuvent facilement dégénérer en Afrique de l’Ouest, un dialogue constructif entre les acteurs locaux et internationaux est essentiel.

Au-delà de l’aspect politique, cette rencontre marque aussi l’évolution des relations entre la Côte d’Ivoire et l’Union européenne. L’UE pourrait jouer un rôle clé dans l’accompagnement du pays vers une nouvelle ère politique, basée sur des valeurs de démocratie, de transparence, et de justice sociale. Le retour de Laurent Gbagbo, s’il se concrétise, pourrait non seulement redéfinir le paysage politique ivoirien, mais aussi redonner espoir à une partie de la population qui aspire à un changement significatif.

Times Infos

Par Ahmed KOKO.

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