Depuis la résurgence du M23 dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les Églises congolaises tentent d’initier un dialogue entre les différentes parties impliquées. Elles ont récemment établi des contacts avec Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et aujourd’hui à la tête de l’Alliance Fleuve Congo, l’aile politique du M23. Cette initiative, qui se voulait une démarche de pacification, a immédiatement provoqué une levée de boucliers à Kinshasa, où le gouvernement de Félix Tshisekedi considère tout rapprochement avec le M23 comme une trahison nationale.
Le président congolais a été clair : il n’y aura aucune négociation avec les rebelles soutenus par le Rwanda. Pour Kinshasa, le M23 est une organisation terroriste dont les exactions ont coûté la vie à des milliers de civils. Toute tentative de médiation est donc perçue comme une atteinte à la souveraineté nationale. Malgré cela, certaines figures religieuses congolaises, persuadées qu’une solution militaire seule ne mettra pas fin aux violences, cherchent à ouvrir un canal de discussion. Mais jusqu’où peut aller l’Église sans franchir la ligne rouge fixée par le pouvoir en place ?
Les Églises congolaises : un rôle ambigu ?
L’implication des Églises dans les conflits politiques et militaires en RDC n’est pas nouvelle. Depuis l’ère Mobutu jusqu’aux crises récentes, elles ont souvent servi d’intermédiaire entre l’État et divers groupes armés. Cette posture leur confère une influence considérable, mais elle les place aussi dans une position délicate. En établissant un dialogue avec le M23 via Corneille Nangaa, certaines figures religieuses semblent vouloir jouer un rôle de médiateur, mais à quel prix ?
Un incident récent a renforcé la méfiance à l’égard de cette initiative. Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux a montré Corneille Nangaa prenant la parole lors d’une messe à Rutshuru, provoquant un tollé. La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a rapidement réagi, expliquant qu’il ne s’agissait pas d’un soutien aux rebelles, mais d’un incident imprévu. Toutefois, cet épisode soulève une question essentielle : jusqu’où l’Église peut-elle aller sans donner l’impression de cautionner une rébellion responsable d’atrocités contre les populations civiles ?
Kinshasa riposte : un procès aux allures d’exemple
Pour le gouvernement, la réponse a été immédiate et sans appel. En juillet 2024, un procès historique s’est tenu à Kinshasa, où 26 hauts responsables des rébellions du M23 et de l’Alliance Fleuve Congo ont été jugés et condamnés à mort pour crimes de guerre, insurrection et trahison. Parmi eux, Corneille Nangaa, accusé d’avoir renié son engagement envers la République pour rejoindre les rebelles.
Cette condamnation marque un tournant dans la gestion de la crise sécuritaire à l’Est. Kinshasa veut envoyer un message fort : aucun compromis ne sera fait avec ceux qui pactisent avec les ennemis de la nation. Pour Tshisekedi, il ne s’agit pas seulement d’un enjeu militaire, mais aussi politique. En se montrant intransigeant face aux rebelles, il renforce son image de leader nationaliste, à quelques mois d’échéances politiques cruciales.
Le dilemme des Églises : entre médiation et compromission
Dans ce contexte explosif, les Églises congolaises doivent faire un choix. Poursuivre leurs efforts de médiation au risque de s’aliéner le pouvoir en place ? Ou prendre leurs distances avec le M23 pour préserver leur crédibilité auprès du gouvernement et de la population ?
Le rôle de l’Église en RDC a toujours oscillé entre neutralité et engagement politique. Si elle joue un rôle clé dans la stabilisation du pays, son implication dans le dossier M23 suscite des interrogations. Peut-elle réellement favoriser un dialogue sans être perçue comme un acteur partisan ?
L’histoire récente montre que toute tentative de discussion avec les groupes armés en RDC est une entreprise périlleuse. Le M23, malgré ses revendications politiques, est perçu avant tout comme une menace militaire soutenue par une puissance étrangère. Dès lors, la marge de manœuvre des Églises est extrêmement étroite.
En conclusion : l’Église face à son propre défi
Alors que le gouvernement congolais serre l’étau sur les responsables du M23, l’Église se retrouve à un carrefour. Sa volonté de jouer les intermédiaires peut être perçue comme une tentative de pacification, mais elle risque aussi de l’exposer à des accusations de complaisance envers les rebelles.
Dans un pays où la religion occupe une place prépondérante dans la vie sociale et politique, toute prise de position a des répercussions majeures. Reste à savoir si les Églises congolaises sauront éviter le piège du compromis douteux tout en restant fidèles à leur mission de paix. Une chose est certaine : en RDC, la frontière entre dialogue et compromission est plus mince que jamais.
Times Infos
Par Cédric Baloch.