Malgré des atouts naturels (climat et abondance de terres arables), le secteur agricole gabonais reste à un état embryonnaire, faisant du Gabon un pays fortement dépendant d’importations alimentaires. L’agriculture ne contribue ainsi que marginalement à la création de richesses (environ 6% du PIB). De nombreux handicaps expliquent cette stagnation : population rurale peu nombreuse (14%), système foncier défavorable à un accès sécurisé à la terre, coût élevé de la main d’œuvre et manque d’attractivité des jeunes pour la profession, manque d’infrastructures de commercialisation et de transformation… Les différentes politiques ou programmes mis en œuvre par l’Etat ont en effet privilégié le développement de l’agro-industrie à base de matières premières importées.
C’est dans ce contexte que le gouvernement du président déchu Ali Bongo a mis en place, fin 2014, le programme GRAINE (Gabonaise des réalisations Agricoles et des Initiatives des nationaux Engagés) pour développer le secteur, avec l’objectif de faire passer la contribution de l’agriculture au PIB de 5 à 20% d’ici 2020, tout en réduisant de 50% les importations (estimées à environ 300 Mds FCFA par an). Issu d’un partenariat additionnel entre le gouvernement gabonais (51 %) et le groupe singapourien OLAM (49 %), le programme est piloté par la société SOTRADER (société gabonaise de transformation agricole et développement rural).
Ce programme repose essentiellement sur (i) le soutien apporté à la création de coopératives agricoles industrielles au travers, notamment, de la distribution de parcelles de terre aux agriculteurs et (ii) la mise en place de modalités propres de préfinancement pour faciliter, en particulier, l’accès aux équipements. L’objectif de sa première phase (2010-2019) était d’intégrer 70 000 ha de plantations villageoises et industrielles, réparties entre une filière export composée de palmiers à huile (62 000 ha) et une filière domestique sur 8 000 ha (banane plantain, manioc, piment, tomate).
Ce programme repose très largement sur l’implication financière du partenaire OLAM. En effet, entre 2011 et 2017, l’investissement cumulé d’Olam dans le secteur agricole aurait atteint 500 Mds FCFA, dont 4% pour le projet Graine depuis 2014 (environ 20 Mds FCFA). Dans le même temps, la part du budget national consacrée à l’agriculture entre 2011 et 2017 n’était que de 38 Md FCFA. Le projet ainsi piloté par Olam, qui a su en faire une promotion forte avec le soutien de la Présidence de la République, apparait comme un substitut de politique sectorielle au regard de ses objectifs affichés : augmentation du PIB agricole, baisse des importations alimentaires, modernisation de l’agriculture, accès aux plus grand nombre aux terres agricoles, sécurité alimentaire, formation etc.
Un projet structurant face à de nombreuses difficultés
Le programme GRAINE est actuellement en cours dans l’ensemble des neuf provinces du pays. Les deux premières années effectives du programme (2015-2016) ont été consacrées à l’aménagement de 1500 ha de terres cultivables et à l’adhésion des petits exploitants agricoles. Les premières récoltes vivrières ont eu lieu en 2017 (1 200 tonnes de bananes et manioc).
Le bilan du démarrage est plutôt mitigé, loin des objectifs initiaux. La Sotrader a dû faire face à des difficultés importantes qui n’avait pas toutes été mesurées au préalable : problèmes d’acceptation globale au plan local, sujets de gestion du foncier rural, création ex-nihilo de coopératives, défaillance actuelle du système de crédit agricole, conflits homme-faune dans certaines régions etc. Fin 2018, une forte pénurie de manioc, denrée très consommée localement, a été observée, marquant un échec de la production.
Néanmoins, environ 16 000 petits exploitants seraient inscrits au programme, sous près de 800 coopératives pour exploiter un peu plus de 7 000 ha de terres aménagées. Pour la seule année 2018, 210 coopératives agricoles ont été accompagnées dans leur création et 30 agréments d’exploitants agricoles ont été délivrés. Si la part du secteur agricole dans le PIB national apparait en hausse (de 3,9 à 6,1% entre 2013 et 2017), la contribution du programme GRAINE à cette augmentation reste marginale, puisqu’elle serait plutôt imputable aux investissements du groupe Olam dans ses propres plantations de palmiers à huile (production de régimes de palme en hausse de 33,5% en 2018 et d’huile palmiste de +150%).
Une relance du programme avec le soutien de la BAD
Eu égard aux résultats très mitigés obtenus avant la fin de la première phase du programme Graine, les autorités ont décidé de le reformater, concomitamment au soutien accordé par la Banque africaine de Développement au secteur agricole.
En effet, la BAD a lancé, en avril 2018, le « projet d’appui technique à la stratégie de transformation de l’agriculture ». Ce projet, financé à hauteur de 800 Md FCFA, visait deux objectifs : la structuration de l’entrepreneuriat agricole des jeunes et la généralisation effective du programme GRAINE à l’ensemble des provinces du Gabon. Un prêt de 1,2 Md FCFA accordé par la Banque à la Sotrader en 2017 avait pour objectif par ailleurs de renforcer les capacités productives des coopératives et des planteurs engagés dans la culture du palmier à huile, de la banane, de la tomate, du manioc et du piment, ainsi que de faciliter l’accès de ces entreprises aux services financiers.
Depuis mi 2018, des études sont en cours de réalisation pour la mise en place de la phase 2 du programme GRAINE, dans le contexte de la mise en place d’une nouvelle stratégie gouvernementale pour le développement du secteur, axée sur l’intégration de quatre zones agricoles à forte productivité, prévues pour être mises en place les mois d’après dans les provinces de l’Estuaire, du Haut-Ogooué, de la Ngounié et du Woleu-Ntem.
En février 2019, le gouvernement a créé le Comité de Pilotage du Programme Graine, organe de coordination pour orienter et faciliter la mise en œuvre du programme.
Mais, ce prestigieux projet ambitieux n’a malheureusement pas conduit le pays a résoudre la problématique de l’autosuffisance alimentaire dont le Gabon dépend en moyenne des pays limitrophes. Où sont donc parti tous les financements consentis ? où en sont les responsables et principaux acteurs dudit projet ? les questions demeurent ainsi entières au regard du bilan exhaustif qui n’a jamais été fait.
Nous y reviendrons…
Times Infos
Par Nancy Nguema.