Depuis plusieurs décennies, Paul Biya règne sur le Cameroun avec une poigne de fer. Alors que son âge avancé et la situation socio-économique du pays alimentent les débats sur une éventuelle transition politique, le régime semble déterminé à verrouiller toute possibilité de changement. L’une des stratégies les plus visibles ces dernières semaines est la mobilisation des chefs traditionnels, figures d’autorité respectées, pour légitimer une nouvelle candidature du président. Mais à quel prix ? Entre pressions politiques, promesses intéressées et intimidation, l’implication forcée de ces notables pose une sérieuse question sur l’état de la démocratie au Cameroun.
Des figures influentes transformées en outils politiques
Dans le contexte politique camerounais, les chefs traditionnels jouent un rôle essentiel. Gardiens des us et coutumes, médiateurs sociaux et représentants d’une légitimité ancestrale, ils jouissent d’un respect profond au sein de leurs communautés. Cependant, au fil des années, ces figures sont devenues des instruments de manipulation au service du pouvoir en place.
À la veille de chaque élection présidentielle, une mise en scène bien rodée se répète : des chefs traditionnels, parfois réticents, sont contraints de proclamer publiquement leur soutien à Paul Biya. Des déclarations collectives sont organisées dans les palais présidentiels et les médias d’État se font l’écho d’une supposée « adhésion unanime » des élites traditionnelles à la candidature du président sortant. Pourtant, cette unanimité affichée masque une réalité bien plus trouble.
Pressions, chantage et récompenses : une stratégie bien huilée
Selon plusieurs témoignages recueillis auprès de chefs traditionnels, des pressions directes et indirectes sont exercées pour s’assurer de leur fidélité au régime. Le gouvernement use de plusieurs leviers :
- Le chantage économique : De nombreuses chefferies traditionnelles dépendent des subventions étatiques pour leur fonctionnement et l’entretien de leurs infrastructures. Refuser de soutenir le président signifie, dans certains cas, s’exposer à un blocage des financements, voire à la suspension de certains projets de développement.
- La menace de destitution : Même si les chefs traditionnels sont censés être des figures indépendantes, le gouvernement peut user de son influence pour les remplacer par des figures plus dociles. Dans le passé, plusieurs chefs critiques du régime ont été démis de leurs fonctions ou marginalisés.
- L’appât des privilèges : À l’inverse, ceux qui acceptent de jouer le jeu du régime se voient gratifiés de faveurs : promotions, véhicules de luxe, enveloppes financières, voyages officiels, etc. Ces avantages renforcent une relation clientéliste où l’autorité traditionnelle est mise au service du pouvoir central.
Une instrumentalisation qui fragilise l’autorité traditionnelle
Cette stratégie de manipulation, bien qu’efficace à court terme pour le régime de Paul Biya, risque d’affaiblir profondément l’institution traditionnelle. En forçant les chefs à prendre parti pour un président contesté, le gouvernement les expose à une perte de légitimité aux yeux de leurs communautés.
Dans certaines régions, notamment anglophones et dans les grandes métropoles, la défiance envers les chefs traditionnels grandit. Une partie de la jeunesse, frustrée par l’absence d’alternance et la précarité économique, perçoit ces leaders comme des relais du pouvoir plutôt que comme des défenseurs des intérêts du peuple. Cela contribue à fragiliser encore davantage le tissu social et à creuser le fossé entre la population et ses élites.
Une démocratie de façade en péril
L’instrumentalisation des chefs traditionnels pour maintenir Paul Biya au pouvoir illustre une réalité plus large : celle d’une démocratie étouffée, où les institutions sont systématiquement mises au service d’un régime vieillissant. Alors que le Cameroun fait face à des défis majeurs – crise anglophone, corruption endémique, chômage des jeunes – le pouvoir préfère verrouiller le jeu politique plutôt que d’ouvrir un réel débat sur l’avenir du pays.
Jusqu’à quand cette stratégie tiendra-t-elle ? L’histoire montre que le contrôle autoritaire a ses limites. Lorsque la population ne reconnaît plus ses leaders comme légitimes, la contestation peut prendre des formes imprévisibles. En sacrifiant la crédibilité des chefs traditionnels sur l’autel de son ambition politique, le régime de Paul Biya joue un jeu dangereux dont les conséquences pourraient être explosives.
Times Infos
Par Patrick Kindé.