Le 15 février 2025, l’élection de Mahamoud Ali Youssouf à la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA) a marqué un tournant inattendu pour l’organisation continentale. Peu connu du grand public en dehors des cercles diplomatiques, ce vétéran de la politique djiboutienne a su, contre toute attente, s’imposer face à des figures de premier plan comme Raila Odinga, ancien Premier ministre kényan, et Richard Randriamandrato, ex-ministre des Finances malgache. Mais derrière cette victoire aux allures de triomphe discret, plusieurs questions demeurent : s’agit-il d’un réel choix stratégique pour l’avenir de l’UA, ou d’un compromis politique savamment orchestré ?
Un diplomate chevronné mais une candidature inattendue
Ministre des Affaires étrangères de Djibouti depuis 2005, Mahamoud Ali Youssouf incarne une certaine stabilité diplomatique. Son parcours, marqué par des décennies de négociations internationales et d’interactions avec les grandes puissances, a certainement pesé dans la balance. Pourtant, son élection a surpris. Contrairement à Odinga, dont la notoriété s’étend bien au-delà des frontières africaines, ou à Randriamandrato, porté par une expertise économique pointue, Youssouf a mené une campagne discrète, privilégiant les négociations en coulisses plutôt qu’un affrontement médiatique.
Son profil a cependant séduit un certain nombre de chefs d’État soucieux de voir à la tête de l’UA un homme de consensus, plus technocrate que politicien. Son multilinguisme – il maîtrise le français, l’anglais et l’arabe – ainsi que sa connaissance des mécanismes diplomatiques africains et internationaux ont été des atouts indéniables.
Le poids de Djibouti et des alliances stratégiques
Si Youssouf a réussi à s’imposer, c’est aussi grâce au soutien indéfectible du président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh. Ce dernier, à la tête du pays depuis plus de deux décennies, a fait de la diplomatie un instrument clé de sa stratégie de rayonnement régional. Djibouti, bien que petit en superficie, occupe une position géostratégique essentielle, en abritant des bases militaires françaises, américaines et chinoises.
En coulisses, Guelleh aurait joué un rôle déterminant dans le rassemblement des voix nécessaires à la victoire de son protégé. En appuyant Youssouf, il consolide l’influence de son pays au sein des instances africaines et renforce son image de faiseur de rois sur la scène diplomatique. Mais cette proximité avec un régime critiqué pour son manque d’alternance démocratique pourrait aussi être un facteur de méfiance pour certains États membres.
Une élection révélatrice des tensions au sein de l’UA
L’issue de ce scrutin a également mis en lumière les fractures persistantes au sein de l’Union africaine. La victoire de Youssouf après sept tours de scrutin illustre la difficulté des États membres à s’accorder sur une vision commune pour l’avenir de l’organisation. Raila Odinga, pourtant considéré comme favori, n’a pas réussi à fédérer autour de sa candidature, notamment en raison de résistances de certains pays d’Afrique australe et centrale, qui voyaient en lui un candidat trop proche des intérêts occidentaux.
De son côté, l’Algérienne Selma Malika Haddadi, élue vice-présidente de la Commission, incarne une volonté de rééquilibrage géopolitique entre les différentes régions du continent. Son élection suggère que, malgré les rivalités, un consensus a été trouvé pour assurer une certaine diversité dans la gouvernance de l’UA.
Les défis qui attendent Youssouf
Si Mahamoud Ali Youssouf a su convaincre pour être élu, il devra désormais prouver qu’il est à la hauteur des défis colossaux qui l’attendent. L’Union africaine est confrontée à de multiples crises : conflits persistants au Soudan et en République démocratique du Congo, instabilité politique dans le Sahel, nécessité d’accélérer l’intégration économique avec la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine) …
Son expérience diplomatique sera un atout, mais suffira-t-elle à donner un nouvel élan à une organisation souvent critiquée pour son inefficacité et son manque d’indépendance face aux influences extérieures ? Sa capacité à gérer les tensions internes, à instaurer des réformes profondes et à renforcer le poids de l’UA sur la scène internationale seront des tests cruciaux.
Une présidence sous surveillance
L’élection de Mahamoud Ali Youssouf marque une nouvelle page pour l’Union africaine. Son profil de technicien plutôt que de figure politique pourrait séduire ceux qui attendent une gestion plus pragmatique de l’organisation. Mais son ascension, largement soutenue par Djibouti et ses alliés, pose aussi la question des rapports de force internes à l’UA et du véritable pouvoir du président de la Commission.
Entre attentes élevées et scepticisme, sa présidence sera scrutée de près. Réussira-t-il à transformer cette victoire en un véritable tournant pour l’Afrique, ou ne sera-t-il qu’un maillon supplémentaire dans une institution qui peine encore à s’affirmer ? L’avenir nous le dira.
Times Infos
Par Cédric Baloch.