Le gouvernement burkinabè a annoncé, lors du conseil des ministres du 5 février 2025, une réforme majeure du foncier rural interdisant aux étrangers d’acquérir des terres agricoles. Cette décision, inscrite dans le projet de loi portant réorganisation agraire et foncière, vise à renforcer la souveraineté foncière du pays et à garantir une meilleure gestion des terres rurales. Mais cette mesure est-elle véritablement un levier de développement pour le Burkina Faso ou risque-t-elle d’entraver les investissements nécessaires à la modernisation du secteur agricole ?
Une réponse à l’accaparement des terres agricoles
Depuis plusieurs années, la question de l’accaparement des terres par des investisseurs étrangers est devenue une préoccupation majeure pour de nombreux pays africains. Le Burkina Faso n’échappe pas à cette tendance, où des milliers d’hectares de terres cultivables ont été acquis par des entreprises étrangères, souvent au détriment des populations locales. Cette nouvelle loi vise donc à préserver le patrimoine foncier burkinabè en limitant les risques de dépossession et de spéculation foncière.
En instituant des baux de longue durée (de 18 à 99 ans) pour les investisseurs étrangers, l’État burkinabè cherche à concilier protection du foncier et attractivité économique. Cette solution permet aux étrangers d’exploiter les terres sans en devenir propriétaires, garantissant ainsi un contrôle national sur le patrimoine foncier. Toutefois, la véritable question est de savoir si ces baux seront suffisamment attractifs pour maintenir un flux d’investissement dans le secteur agricole.
Un frein aux investissements étrangers ?
Si la protection du foncier national est essentielle, l’interdiction de l’achat de terres par des étrangers pourrait aussi avoir des conséquences économiques non négligeables. Le Burkina Faso, dont l’agriculture représente environ 30 % du PIB et emploie près de 80 % de la population, dépend largement des investissements pour moderniser son secteur agricole.
En privant les investisseurs étrangers de la possibilité de devenir propriétaires, la réforme pourrait réduire l’attrait du pays pour des acteurs clés du développement agricole, notamment ceux qui misent sur des stratégies à long terme. La modernisation des infrastructures agricoles, la mécanisation, l’irrigation et l’accès aux marchés internationaux nécessitent des financements conséquents que l’État burkinabè seul ne peut garantir. L’un des risques majeurs de cette réforme est donc de freiner le développement du secteur agricole si les investisseurs se tournent vers des pays offrant un cadre plus favorable.
Une souveraineté foncière à double tranchant
L’argument principal du gouvernement repose sur la souveraineté foncière et la protection des ressources nationales. En interdisant l’achat des terres rurales par des étrangers, l’État entend garantir aux Burkinabè un meilleur accès au foncier, réduisant ainsi les inégalités et les tensions sociales liées à la spéculation foncière. Cette réforme pourrait donc être un moyen de renforcer l’autosuffisance alimentaire du pays en favorisant les exploitants locaux.
Cependant, cette politique ne suffira pas à elle seule à assurer une gestion équitable et efficace des terres agricoles. L’un des défis majeurs du Burkina Faso reste l’accès aux financements pour les agriculteurs locaux, qui peinent à obtenir des crédits auprès des banques pour investir dans leurs exploitations. Si l’État n’accompagne pas cette réforme par des mesures concrètes de soutien aux agriculteurs burkinabè, il risque de créer un vide que les investisseurs étrangers ne combleront plus.
Une réforme qui nécessite des ajustements et des garanties
L’interdiction d’acquisition des terres agricoles par les étrangers au Burkina Faso est une mesure forte qui répond à des enjeux légitimes de souveraineté et de protection du foncier. Cependant, pour qu’elle ne se transforme pas en un obstacle au développement, elle doit être accompagnée de politiques incitatives pour les investisseurs et de mécanismes de soutien aux exploitants locaux.
Plutôt que d’exclure totalement l’achat de terres par les étrangers, le gouvernement pourrait envisager des modèles hybrides, où les investisseurs internationaux s’associent avec des acteurs locaux dans des partenariats public-privé encadrés. De même, un fonds national de développement agricole, alimenté par des taxes sur les investissements étrangers, pourrait être une solution pour financer la modernisation du secteur sans sacrifier la souveraineté foncière.
L’avenir du foncier rural burkinabè dépendra donc de la capacité du gouvernement à équilibrer protection du patrimoine national et attractivité économique. Une réforme mal calibrée pourrait ralentir le développement agricole et fragiliser une économie déjà vulnérable. Il appartient désormais aux autorités de définir un cadre juridique qui garantisse à la fois la souveraineté foncière et la prospérité du secteur agricole.
Times Infos
Par Mbak Ndèye.